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S01E06 - Trois choix

Salutations !


Nous y voilà, la fin de la première saison de ma série littéraire est là !

J'espère que ce sixième et ultime épisode vous plaira autant, si ce n'est plus, que les précédents ! En tout cas, j'ai vraiment aimé écrire cette histoire, et je suis très content d'avoir enfin réussi à la mener à son terme sans avoir subi les affres de la démotivation en cours de route.

C'est même en fait tout le contraire.


C'est pourquoi je fais les annonces suivantes :

- J'ai commencé à plancher sur le synopsis d'une seconde saison. Et celle-ci ne sera pas une suite directe à la première. Idéalement, j'aimerais que mes arcs scénaristiques tiennent en entier sur une saison chacun (en tout cas pour les parties que j'ai envie d'aborder et raconter), et que je puisse tisser quelques liens plus ou moins ténus entre elles au travers de personnages, scènes, lieux, etc...

- Je suis en train de me renseigner pour faire éditer une édition physiquement palpable de cette première saison, via une plateforme d'impression à la demande par exemple. Cette réflexion part d'un sentiment égoïste, car elle matérialise mon envie d'avoir le produit fini de mes efforts entre les mains. Et je me dis que, quitte à faire cette démarche et tous les préparatifs qui en découlent, autant le rendre disponible pour d'éventuels lecteurs curieux ou qui aimeraient eux aussi ajouter ce bouquin dans leur bibliothèque.

Du coup, je prépare une petite surprise à intégrer à cette éventuelle version physique, pour remercier celles et ceux qui voudront bien se la procurer.

Quoi qu'il arrive, je vous tiendrais au courant si cette idée finit par voir le jour !


Trêve de blabla, je vous laisse rentrer dans la dernière ligne droite de cette saison !


Ci-dessous les éternels liens pour accéder aux épisodes précédents :


Bonne lecture !


Be seeing you.

Number 6



« — C’est bon, c’est clair pour tout le monde ? »

Medina doit comprendre aux dix yeux ronds rivés sur elle que c’est loin d’être le cas.

« — Messieurs, je suis en train d’essayer de vous tirer de là, ce n’est pas pour vous expliquer en boucle la situation ! »


      6 ne l’a absolument pas reconnue. Peut-être vient-il d’un univers dans lequel « Christelle Medina » est en fait « Christophe Medina », comme je l’ai déduit de mon interrogatoire avec Ibrahim. Ce que j’avais pris comme une très mauvaise blague puis comme une grossière erreur de leur part s’avère être possiblement un « changement de genre » en fonction des réalités. Il doit du coup en exister dans lesquelles vivent des Philippa, Phœbe, ou même Philomène Bishop. Complètement intrigant.

     16 a été surpris, mais il n’a rien manifesté de plus que de l’intérêt grandissant pour cette source d’aide extérieure. Je pense malgré tout à sa réaction qu’il la connait, mais sans pouvoir en dire plus.

     10 s’est emporté et l’a instantanément insultée. Je ne sais pas ce qui a bien pu se passer entre eux deux, mais son côté sanguin n’a pas hésité une seconde à prendre le dessus dès que son regard s’est porté sur elle.

     Quant à 12 et moi, nous avons chacun eu un comportement très similaire. Tout d’abord, de la surprise. Puis des larmes impossibles à arrêter, la boule de stress plantée dans la gorge prête à sortir et à ouvrir les vannes à un débordement de sentiments qu’il aurait mieux valu réprimer. Ce n’est ni l’endroit ni le moment pour ce genre d’effusions. Du moins, c’est ce dont j’ai réussi à me convaincre. 12, non. Il s’est jeté sur elle, et l’a serrée très fort dans ses bras, pleurant sans retenue.

Tout le monde a été pris par surprise, Chris y compris. L’étreinte s’est éternisée, et elle a fini par le repousser comme on repousserait un gamin devenu trop collant.

« — Aouch, ça doit piquer… » a murmuré 10 alors que nous détournions tous le regard de cette scène plutôt embarrassante.

     La porte de la salle rouge refermée derrière elle, elle nous a toisés intensément, à tour de rôle. Et c’est lorsque ses yeux ont plongé dans les miens que j’ai compris qu’il s’agissait là d’une « Christelle Medina » qu’aucun d’entre nous ne connaissait. J’ai senti mon cœur se fissurer un peu plus, après avoir cru pendant quelques minutes pouvoir colmater la brèche ouverte il n’y a pas si longtemps.

     « — Si vous n’avez toujours pas saisi mes explications au bout de la troisième fois, ce n’est pas à la quatrième que vous allez tout miraculeusement piger ! ». Chris, partiellement agacée, entrebâille légèrement la porte pour vérifier qu’à l’extérieur aucune agitation ne se fait entendre à cause de son intrusion. Le calme règne.

     D’après ce que j’ai compris, elle est la version de Chris qui bosse avec celui qu’on a appelé entre nous « 0 ». Ils enquêtaient sur les manigances des frères Reise, sont allés plus loin que ce que chacun d’entre nous avait découvert jusqu’à présent et sont tombés sur un gros morceau. Une Organisation qui a trouvé le moyen de se balader dans des univers parallèles, et qui a un business dans quasiment chaque réalité qu’ils ont visitée. Des business illégaux, bien entendu. Trafic d’armes, drogue, prostitution, terrorisme, j’en passe. Tous les types de crimes que l’on voit défiler au poste, réunis dans une seule et même entité. Ils ont bien évidemment tenté de leur mettre des bâtons dans les roues, si ce n’est de les faire tomber.

     Par ricochet, les familles et amis de Chris 0 et Philippe 0 ont salement morflé, et par vengeance, par esprit policier voire par plaisir (ou les trois), le duo a fini par trouver un moyen d’exploiter les passages vers ces autres univers parallèles.

     Cette partie-là, je serais incapable de l’expliquer, malgré tous les efforts que Chris a introduits dans sa narration. Le fait est que 0 s’est mis à sauter de réalité en réalité pour que les gens de l’Organisation à leur recherche ne s’y retrouvent plus. Il en a profité pour laisser des tuyaux anonymes aux autres versions de lui-même. Il espère amener certains d’entre nous aux mêmes conclusions et découvertes qu’eux, afin de monter une espèce d’équipe pour, dans l’idéal, finir par démanteler cette Organisation, et ce partout où elle a réussi à s’implanter avec succès et de manière importante.

   Elle dit aussi qu’elle connait en partie la structure dans laquelle nous nous trouvons car 0 et elle l’ont déjà partiellement explorée. Elle n’est pas très bien gardée à priori. Medina est incapable de nous préciser concrètement où se situe ce complexe… Bref, 0 c’est Morpheus, Chris 0 c’est Trinity, et 6, 10, 12, 16 et moi sommes Néo.

     « — Faites-moi confiance, je suis ici pour vous tirer de là, alors taisez-vous et suivez-moi ! ». Elle ouvre la porte, avec les gestes du brigadier-chef que je lui connais. C’est vraiment perturbant de se dire que ce n’est pas la Chris avec qui j’étais il y a quelques heures de cela. Elles sont tellement similaires toutes les deux.

     Nous la regardons tous faire, à la fois remplis d’incompréhension, d’admiration, d’espoir et de courage. Tous sauf 10. Il dégage une aura de haine qu’il n’arrive pas à dissimuler. Ou qu’il n’essaie peut-être même pas de cacher.

« — La voie est libre, on y va. » dit Chris d’un ton autoritaire.

12, 16 puis 6 lui emboitent le pas. Je m’apprête à faire de même quand 10 me retient par le bras.

« — Surveille-la, OK ?

— Pourquoi tu me dis ça ? J’ai bien vu qu’il y a un truc entre elle et toi. En tout cas, la version d’elle que t’as côtoyée.

— Putain, tu crois pas si bien dire. C’est à cause d’elle que je me suis retrouvé dans cette foutue prison. C’est cette pétasse qui m’a assommé, elle bosse pour eux. »

     Ma réaction face aux mots de 10 est difficile à analyser. Je suis à la fois choqué car je n’arrive pas y croire, outré parce que la Chris que je connais ne pourrait jamais me faire une chose pareille, et sur mes gardes vu que cette situation ne cesse d’être de plus en plus impensable et que mon cerveau de flic a de plus en plus de mal à envisager tout cela.

« — T’as pigé que celle qui est avec nous n’est pas celle que tu as côtoyée, n’est-ce pas ?

— Ouais, ouais… » me répond 10 sur le ton du gamin à qui on vient de faire comprendre qu’il a tort.

Medina repasse la tête à ce moment-là dans la salle rouge, de laquelle nous n’avons toujours pas bougé.

« — Allez les gars, on se dépêche ! On est encore incognito pour le moment, mais ça ne va pas durer ! »

« — On arrive, désolé. Viens 10, on reparlera de tout ça plus tard, faut qu’on s’tire d’ici en priorité.

— Ouais… Mais je vais pas lâcher cette connasse des yeux une seule seconde. » dit-il discrètement à mon attention lorsqu’il passe le seuil de la porte.

     Nous enchaînons les couloirs, prudemment mais au pas de course, toujours dirigés par Chris. Elle a effectivement l’air de savoir où elle va. Plus ou moins. Quoi qu’il arrive, elle connait ce complexe bien mieux que n’importe lequel de nous cinq. En tout cas, c’est ce qu’elle a annoncé plus tôt.

     Merde, la courte entrevue que j’ai eue avec 10 a mis le doute dans ma tête. Je suis tiraillé entre les faits concrets, la situation totalement irréelle, ma profonde amitié pour Chris, le deuil d’elle que je n’ai pas encore eu le temps de faire, et la haine sans bornes de 10 à son égard. Je ne sais moi-même plus quoi penser. Du coup, c’est le flic en moi qui reprend le dessus. Elle est actuellement notre meilleur atout pour se barrer d’ici, mais c’est une personne que je ne connais pas. Elle est donc à surveiller. Je garde aussi 10 dans un coin de mon viseur, des fois qu’il laisse sortir sa hargne à un moment inopportun.

     Tous ces putains de couloirs se ressemblent, et j’ai l’impression qu’on déambule dans un labyrinthe aux allures d’hôpitaux. Des murs blancs, pas âme qui vive, toutes les portes sont closes. Pour ce que j’en sais, elle pourrait bien être en train de nous faire faire quatre fois le tour de la même pièce, on ne s’en rendrait vraiment pas compte.

     Soudain, la topologie des lieux me paraît varier légèrement. Chris ralentit le pas. Des voix se font alors entendre.

« — Pourquoi êtes-vous revenus seuls ? »

C’est Ibrahim. Nous le reconnaissons tous. Une voix lui répond.

« — Il ne peut pas avoir usurpé la vie de 18. Phillis Bishop est morte dans un accident de voiture il y a 8 mois de cela. »

Ce fort accent germanique. Un des frères Reise ? Les autres se crispent, 16 encore plus.

« — Effectivement. Je vais pouvoir archiver son dossier, donc. Préparez-vous à travailler sur 19. En attendant, gazez-les tous et ramenez-moi 17. Il est bien trop frais pour avoir révélé tous ses secrets.

- Ja, mein Herr. »

     Merde, s’ils envoient quelqu’un me chercher, ils vont s’apercevoir que nous nous sommes barrés et ils vont donner l’alerte. Et même si Chris dit vrai, je doute qu’il y ait en tout moins de 6 personnes dans cet endroit pour tenter de nous arrêter.

     Tous alignés en rang d’oignons le long d’un mur, Chris s’adresse à nous à voix basse.

« — Pas de soucis, d’après ce que je sais et si tout se passe comme jusqu’à présent, nous ne sommes plus très loin de la sortie. Le temps qu’ils actionnent le gaz, qu’ils attendent que son effet soit actif et qu’ils viennent te chercher, on ne sera déjà plus là. » dit-elle en me regardant.

     Nous acquiesçons tous du même mouvement de tête. Et pourtant, je suis certain que dans chacun de nos yeux peuvent se lire des sentiments différents. Notamment 10, qui a l’air d’être à la limite de l’explosion tant je sens la lourdeur et l’intensité du regard qu’il porte sur Chris, alors qu’il ne me fait pas face. Je lui serre discrètement le bras, afin de lui faire comprendre de calmer le jeu. Ce n’est toujours pas le moment.

     Les bruits des pas paraissent de plus en plus lointains, et au bout de quelques secondes, Chris nous enjoint à reprendre la fuite. Après quelques enjambées seulement, une voix retentit dans notre dos.

« — STOP ! » Cette voix je la connais. C’est la mienne.

     Nous nous retournons tous d’un coup, pour nous retrouver face à 12, un pistolet braqué droit sur nous. Par pur instinct, 16 tente de s’interposer et reçoit une balle dans l’estomac. Il s’écroule, hurle et se tord de douleur. 12 n’a pas hésité une seule seconde à tirer.

     En parallèle, je vois Chris nous dépasser pour se mettre en première ligne, soulever le bas de l’arrière de sa veste, probablement pour attraper une arme de poing cachée dans la taille de son pantalon. Une arme qui n’est plus là.

« — Putain ! Quand as-tu… » Sa phrase meurt sans être terminée. Elle comprend. Et moi aussi. Je revois parfaitement dans ma tête le moment où 12 s’est jeté sur elle à son entrée dans la salle des miroirs, et où nous avons tous détourné le regard pour ne pas assister à cette scène embarrassante. L’enfoiré.

     Alors que nous sommes tous figés de surprise, 6 s’accroupit et tente tant bien que mal de panser la blessure de 16.

« — Fait chier. Il est salement amoché. »

     Le sang coule. Il ne s’arrête pas. Et même si ce n’est pas moi qui ai été touché, j’ai la sensation de sentir une brûlure pile à l’endroit où mon autre moi l’a été. Ce n’est vraiment pas le moment de se laisser embarquer par une compassion mal placée. Il n’y a aucun lien mystique ou biologique entre nous. Ça fait juste un sale choc que de se voir prendre une balle dans le corps.

     La tension est à son comble. Chris et 10 sont crispés à l’extrême. Déjà qu’il était complètement à cran, j’ai peur qu’il n’explose d’une seconde à l’autre et qu’il finisse comme 16, un peu plus lourd du poids d’une munition de flingue. À cette pensée, ma vision se porte à nouveau vers notre blessé. Je croise alors le regard de 6. J’y capte un signe de tête discret de sa part que j’espère comprendre correctement. OK, je prends les devants.

« — Lâche ton arme, 12. T’es pas obligé de faire ça. »

     J’approche lentement, pas à pas, les mains en l’air pour prouver que je ne suis pas une menace. Comme je l’ai appris à l’académie.

« — Tais-toi. Et arrête d’avancer. Je sais exactement ce que t’es en train de faire. J’ai suivi la même formation que toi, ne l’oublie pas. »

     À ces mots, je me fige mais ne baisse pas les bras. Au sens propre comme au sens figuré. Je profite de m’être légèrement rapproché de lui pour jauger la situation. Il est seul, mais armé. Il n’y a aucune hésitation. Ni dans ses gestes ni dans sa voix. Ce n’est pas une crise de panique de sa part. Il bosse clairement pour eux. Et l’arrivée de Chris, le vol de son pistolet et notre fuite n’ont été qu’une suite de déclencheurs. D’opportunités.

« — Putain mec, mais pourquoi tu fais ça ? Pourquoi tu nous baises alors qu’on était si proches du but ? » assène 10 de son langage fleuri.

« — C’est pourtant évident, non ? réponds calmement 12. Je suis avec l’Organisation. Je bosse pour eux. Non, avec eux. Non… Avec lui. »

     La tournure de cette phrase est bien trop spécifique pour qu’elle n’ait pas de sens précis. Je range ça dans un coin de ma tête et décide d’enchaîner.

« — T’as été placé dans cette salle avec nous pour nous observer, nous espionner. Pour aider Ibrahim à démêler nos bobards lâchés lors de nos interrogatoires. Qui de mieux que l’un d’entre nous pour nous infiltrer et nous blesser de l’intérieur ? Tout ça dans le but de cerner si 0 se trouvait bien parmi nous. Ou dans le pire des cas si nous avions des informations concrètes à son sujet, sur où et comment lui mettre la main dessus. » Je tente de le faire parler pour gagner du temps. Pourquoi, je ne le sais toujours pas.

« — Exact. Et je ne peux clairement pas vous laisser vous échapper. Vous n’avez pas encore révélé tout ce que vous savez. Nous en sommes certains. Surtout toi, 17. » dit-il en me mettant spécifiquement dans sa ligne de tir. Il poursuit.

« — Bon… Les renforts sont probablement en train d’arriver. Le bruit d’une arme à feu qui résonne dans un couloir vide s’entend d’assez loin, à mon avis. »

     16 continue de gémir de douleur, mais ses râles se font de moins en moins sonores. Il va falloir trouver rapidement une solution à cette situation plus que faisandée.

    Je dévie légèrement ma trajectoire afin que ma silhouette place 6 et 16 hors de portée visuelle de 12. Je reprends calmement mon avancée. Et décide d’y aller au bluff pour le déstabiliser. Je tente de changer de ton et d’attitude. De me mettre dans la peau d’un autre Philippe Bishop. De devenir ce que serait 0.

« — OK. Bien joué. C’était plutôt intelligent.

— Quoi ? De quoi est-ce que tu parles ?

— Chacun avait ses pions placés discrètement au sein du groupe. À ce que je vois, nous avons eu la même idée. C’est à croire que nous pensons à l’identique. » Un sourire que j’essaie de rendre carnassier se dessine sur mon visage. Je décèle à ses traits un début d’incompréhension qui commence à le travailler.

« — Qu’est-ce que tu racontes ? T’es le dernier arrivé, qu’est-ce que t’en sais ?

— Tu bosses pour LUI, n’est-ce pas ? IL t’a placé là, avec nous, pour nous observer. Pour trouver des failles. Et j’ai fait exactement la même chose. Sauf que je suis un peu plus courageux que ton boss. Ou un peu plus suicidaire. Vu que je suis ici en personne. T’en dis quoi, 12 ?

— Non… C’est pas possible… IL a envoyé les autres chercher le suivant ! »

     Dans le mille ! Son bras flanche légèrement, et certains tics viennent tordre ses traits. Une fois encore, je connais cette réaction. Mon bluff fonctionne. Je tente le tout pour le tout.

« — Mauvais plan, mais j’aurais probablement fait la même chose si j’étais lui. Après, tout IL est lui aussi l’un d’entre nous. »

C’est ma tentative de bluff ultime, « un autre Philippe Bishop est à la tête de l’Organisation », directement inspirée par sa drôle de tirade émise quelques minutes plus tôt. Et c’est mission accomplie, il craque.

« — QUOI ? MAIS… MAIS COMMENT TU PEUX BIEN SAVOIR ÇA, TOI ? PERSONNE NE LE SAIT ! »

Mais… quoi ? Pardon ?

     Soudain, j’aperçois dans ma vision périphérique un projectile — une chaussure ? – lancé avec force en direction de 12, provenant de juste derrière moi. Bien joué, 6. J’ai eu raison de faire confiance à mon instinct.

     12 a à peine le temps de l’esquiver. Il dévie involontairement de notre groupe sa ligne de visée. 10, qui attendait la première occasion pour laisser exprimer ses émotions, se rue alors sur 12. Il le désarme avec une violence inouïe, le flingue valdingue à l’opposé de notre position.

« — CASSEZ-VOUS, JE LE DÉMONTE ET JE VOUS SUIS ! »

Je commence à esquisser un mouvement afin d’aller l’aider, mais Chris me retient.

« — Il faut absolument qu’on s’échappe d’ici, et on a un blessé. Il se débrouillera tout seul, on ne peut pas perdre plus de temps, surtout avec les renforts qui arrivent. »

     À ces mots, je finis enfin par entendre le brouhaha de la cavalerie qui se rapproche dangereusement de notre position. Merde, elle a raison.

     6 et moi tentons de relever 16, qui continue à souffrir et à pisser le sang. Nous le soutenons chacun par une épaule, et commençons à avancer dans la direction opposée au combat. Medina nous rejoint rapidement et reprend la tête du groupe, maintenant amputé de deux de ses membres. Elle doit nous sentir morveux d’avoir abandonné 10 à son triste sort alors qu’on lui doit une fière chandelle.

« — Ne vous en faites pas, 10 va pouvoir nous retrouver grâce aux traces de sang laissées par 16. Même si ce n’est pas le seul qui pourra utiliser cette astuce pour le faire… » dit-elle du ton le plus assuré qu’elle puisse adopter alors qu’elle ne l’est pas.

     À moitié consolés, nous n’avons d’autres choix que d’aller de l’avant.

     À quelques encablures de couloirs plus tard, nous entendons les bruits de lutte s’estomper. Toutefois, de nombreuses voix rugissent à leur place, et là où nous espérions discerner les pas de 10 courant vers nous, il n’y a rien. Nous continuons d’avancer, et 10 ne nous rejoint pas. Merde. Je savais que j’aurais dû aller l’aider…

     16 se fait de plus en plus lourd, ses gémissements se réduisent en volume petit à petit. Je vois aux regards fréquents que jette Chris dans notre direction qu’elle sait très bien comment cela va se terminer pour lui. Et je vois aussi à son insistance qu’elle réprime fortement l’envie de nous dire de le laisser là. Qu’il nous ralentit, et que si nous ne nous dépêchons pas, nous allons à nouveau nous retrouver dans la salle rouge. Ou pire.

     C’est alors que 16 reprend plus ou moins conscience et resserre sa main sur mon épaule. 6 et moi réduisons la cadence et finissons par nous arrêter au recoin d’un nouveau couloir. Chris, comprenant instinctivement la situation, se charge de guetter l’arrivée de nos poursuivants pendant que nous installons 16 contre le mur. À genoux, me retrouvant au même niveau que son visage, je remarque qu’il est encore plus abîmé que je ne l’avais constaté. Ils l’ont réellement passé à tabac, le pauvre. Et puis toutes ces trous d’agrafes et ces cicatrices… Ça me fait froid dans le dos.

    Il retire péniblement le bracelet qui orne son poignet, qui ressemble d’ailleurs énormément à celui que je porte actuellement et que m’a confectionné Lili. Il me le tend, ce qui lui demande pas mal d’efforts vu son état. 16 prend appui sur la cuisse de 6, lui aussi agenouillé à ses côtés, pour se retourner vers moi.

« — Prends… soin… d’elle… d’accord ?

— C’est promis.

— Tu n’as pas… perdu Lili toi ? » Il a du mal à faire ses phrases ou trouver ses mots.

« — Non, elle va très bien.

— Ma… pauvre… fille… » dit-il en pointant le bracelet qu’il vient de me donner.

« — Promets-moi… de… la protéger… »

     J’acquiesce d’un signe de tête. Des larmes se mettent à couler sur les joues de 16, et un masque d’apaisement vient se poser sur son visage. À ce moment-là, sa main, encore sur la cuisse de 6, retombe mollement le long de son torse ensanglanté, et son corps s’affaisse.

16 est mort.

Non, Philippe Bishop est mort.

     Et pourtant je suis bien là, moi. Et 6 aussi. 10 s’est jeté dans la gueule du loup pour nous sauver alors que 12 nous a trahis. 0 est quelque part. « Et il y en a un autre qui dirige ce merdier d’une main de fer ? » Cette révélation me fait le même effet qu’un coup de genou dans les noix. « Quand je pense que j’y allais au bluff le plus total là-bas, j’ai du mal à croire que je tapais malgré moi en plein dans le mille. Celui-là, si je lui mets la main dessus, je le démonte direct ! » Ces mots me donnent l’impression d’être dans la tête de 10.

     Je suis extirpé de mon monologue interne par les bruits de course et les voix de nos poursuivants qui se font entendre bien plus que tout à l’heure. Chris nous rejoint alors.

« — Il faut absolument que nous continuions notre route, les gars. »

     Son regard descend vers le corps sans vie de 16, puis se pose sur moi. Elle voit mes yeux rouges et bouffis par des larmes que je n’avais même pas remarquées jusqu’à maintenant. Sa mâchoire se crispe. Elle serre les poings. Se raidit. Mais ne se laisse pas démonter.

« — Je suis vraiment désolée, mais il faut le laisser là et partir tout de suite. »

     Je range précieusement le bracelet confié par 16, me relève et observe 6, plus affecté par ce qu’il vient de vivre à l’instant que par tout ce qu’il a traversé jusqu’ici. Qui ne serait pas choqué de se voir mourir, après tout.

Cependant, il faut qu’on honore le sacrifice de 16 et 10, et qu’on décampe d’ici !

Je le sors de son état de stase en le secouant.

« — Allez, plus de temps à perdre, on décampe ! »

     Nous reprenons alors notre fuite, et nous progressons bien plus rapidement dans ce labyrinthe sans ce pauvre 16. Les couloirs et les portes s’enchaînent, tout se ressemble et je serais incapable de dire si nous avançons clairement vers la sortie ou si nous tournons tout bêtement en rond. Chris hésite par moments, même si elle fait tout pour que nous ne le remarquions pas. Mais elle est bien trop identique à la Chris que je connais pour ne pas reconnaître ses travers et ses habitudes comportementales.

     Au détour d’un énième couloir, la couleur blanche des murs est finalement cassée par une autre teinte. Une porte verte, surplombée d’un spot lumineux vert lui aussi.

« — ENFIN ! » hurle presque Chris à la vue de la sortie providentielle.

     Nous nous dirigeons vers elle, toujours sous la pression des personnes qui nous traquent. Chris se jette sur la poignée, et la porte cède immédiatement. Nous passons tous les trois par son embrasure et la refermons derrière nous. Un soupir d’apaisement s’empare de nous à l’unisson.

Lorsque soudain, je lève enfin les yeux sur ce qui se trouve devant nous. Un couloir. Encore. Mais un couloir pour lequel je ne vois pas la fin. Et complètement illuminé par des spots de couleur verte. Un vert chaleureux. Un vert tellement plein de sens pour nous à ce moment précis que j’en ai presque l’envie de pleurer de soulagement.

     Je remarque alors que des deux côtés de ce couloir se trouvent des rangées de portes, aussi loin que mes yeux peuvent observer. Il y en a tant que j’ai l’impression d’avoir été projeté dans le film d’animation « Monstres & CIE » que ma Lili affectionne tant. Et au-dessus de ces portes figurent des petites plaques en métal avec des nombres gravés dessus. On dirait… des coordonnées GPS. Mais avec quelques chiffres supplémentaires que celles que je connais et utilise d’habitude.

« — Sans… déconner… ?

— Je sais ce que tu penses. Et c’est exactement ça. Nous venons tous d’une de ces portes. Chacun la sienne. Elles sont notre moyen de rentrer à la maison. »

J’en ai le souffle coupé. Comment est-ce que tout ça peut bien fonctionner ?

     6 déambule dans l’immensité de ce couloir, sans malgré tout trop s’éloigner de notre guide. Nous savons très bien que sans elle, nous sommes perdus. Elle est notre phare dans la nuit, notre point d’ancrage. Medina, encore dos à la porte que nous venons de franchir, nous toise tous les deux, 6 et moi. Son regard est déterminé. Il ne flanche pas.

« — Messieurs, nous sommes toujours poursuivis, je vous le rappelle. Il va donc falloir que vous preniez une décision.

— C’est-à-dire ? » intervient 6 sans me laisser le temps de réagir.

« — Trois choix s’offrent à vous. En tout cas, trois qui vous permettraient de ne pas croupir ici. Chacun d’entre eux apporte son lot de conséquences, qu’il vous faudra juger très rapidement. Car la décision est à prendre maintenant. »

« — Rentrer chez soi… » dis-je en regardant le bracelet accroché à mon poignet.

« — S’enfuir ailleurs, prendre un nouveau départ… » dit 6, absorbé par l’immensité des perspectives qu’offre de ce couloir de portes sans fin.

« — Me suivre, rejoindre 0, et tenter de mettre un terme à cette Organisation. » Elle marque une pause et esquisse son premier sourire. « Ou du moins les enquiquiner le plus possible. » Il déteint sur nous, et nous le lui rendons volontiers.

     Malgré ça, j’ai l’impression que mon cerveau est aux prises avec une tempête qui ravage tout sur son passage. Mon esprit analytique, saloperie de travers professionnel, cherche à décortiquer toutes les conséquences de chacun de ces choix. Il est hors de question que j’abandonne ma Lili. Mais je ne peux pas me permettre de la retrouver et de risquer de la mettre en danger. Je pourrais faire profil bas ailleurs un petit moment et retenter ma chance plus tard, mais qui sait dans quel état sera la situation à ce moment-là. Et puis il est possible que 10 soit encore vivant, à nouveau prisonnier de la salle rouge. Et que d’autres versions de moi finissent par le rejoindre malgré elles. On ne peut pas laisser tout ça continuer comme ça. Personne ne peut anticiper la future démesure de ce bordel.

« — Je te suis. »

      À ces mots, 6 s’avance vers Chris d’un pas assuré, même si sa démarche est un peu chaloupée à cause de la chaussure gauche qu’il a balancée sur 12 tout à l’heure. La scène est irréelle, elle me paraît sortie tout droit d’un film de science-fiction. Et malgré l’aspect légèrement comique de son boitillement, 6 dégage une prestance incroyable, soutenue par l’ambiance feutrée générée par la lumière verte et diffuse si particulière de ce couloir lui aussi si particulier. J’ai presque le sentiment d’assister à la naissance d’un héros. Dois-je prendre le même chemin… ?

« — Tu es sûr de toi ? » lui répond Medina.

« — Oui. Je ne veux pas être qu’un numéro. Je suis un homme libre. C’est ce qu’il y a de mieux à faire. Pour moi en tout cas. »

     Son regard se porte sur moi lorsqu’il prononce ces derniers mots. Je ne connais pas sa vie, je ne sais pas en quoi elle diffère de la mienne. Mais le choix est évident. Pour lui. Et pas forcément pour moi. C’est ce qu’il cherche à exprimer par ce geste. Je le sais. Je le sens. Nous sommes pareils. Presque.

« — Parfait. Bienvenue à toi, Philippe. »

6 se place aux côtés de Chris.


La roue des options tourne dans ma tête, alimentée par tous les pour et tous les contre, et ce concernant chaque possibilité envisagée.

Elle ralentit. Petit à petit. J’y vois plus clair. Et je décide de l’arrêter.

« — Et toi, 17 ? Ton choix est fait ? »



« — Oui. »



FIN

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