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S01E04 - Le grand manitou du trafic de capsules Senseo

Dernière mise à jour : 7 nov. 2019

Bonjour, amies lectrices, amis lecteurs,


Très bref préambule (pour une fois) pour la sortie de cet épisode 4 de la saison 1 de ma série littéraire. Le mystère s'épaissit, des questions naissent.


Voici comme d'habitude les liens directs pour retourner lire les épisodes précédents :


Maintenant, place au S01E04 - Le grand manitou du trafic de capsules Senseo


Bonne lecture !


Be seeing you.

Number 6



      Ma conscience reprend ses droits. Et avant même d’avoir le temps de quoi que ce soit, une douleur lancinante naissant à l’arrière de mon crâne se propage jusque dans mes tempes. J’ouvre péniblement les yeux, et au même titre que moi, ma vision a du mal à redémarrer. Une lumière tamisée tente de redonner vie à la bête meurtrie que je suis, pendant que mon esprit essaie tant bien que mal de recoller les morceaux. Tout en tâchant d’analyser les gerbes lumineuses floues que mes yeux captent, je m’efforce de me relever.

« Mais, je suis assis ? Et attaché ? C’est quoi c’bordel ? »

      À cette pensée, tout mon corps se réveille d’un coup, pour le meilleur comme pour le pire. La douleur dans mon crâne empire, et là où ma vision vient de faire instantanément le point sur ce qui se trouve en face de moi, elle se trouble à nouveau. Et mes larmes coulent.

« Chris… Non… Pourquoi...? »

      Toute la scène de la planque se joue une nouvelle fois dans ma tête. L’angoisse, la clope, mon errance, le SMS de Medina… Et cette douleur-là occulte complètement toutes les autres.

« Si je trouve le fils de pute qui l’a… »

      Une colère sourde s’empare soudain de moi, le feu qui se propage dans mes tempes se met à irradier dans tout mon être et la fureur me submerge tout entier en une seconde. Je me débats comme un forcené. Pas spécialement pour tenter de défaire mes liens, mais parce que c’est la manifestation primale et instinctive de ma rage qui cherche à sortir à tout prix sous peine de me faire exploser.

«  — JE VAIS VOUS TUER ! JE VAIS VOUS TUER TOUS LES DEUX ! »

      Le stress physique intense de toute cette hargne vide le peu de batterie accumulée durant mon black-out. Ma trachée me brûle, mes yeux rouges gorgés de sang sont au bord de leurs orbites, prêts à faire le grand saut. Je ravale la boule de détresse et de tristesse que j’ai dans la gorge, sous peine de me laisser engloutir par le désespoir. Et c’est à ce moment-là que mon instinct de flic finit enfin par se pointer à nouveau.

« C’est moi qu’ils veulent. Nous faire mariner au point d’en détourner notre attention, moi qui perds patience, qui cherche à calmer mon angoisse, et Chris qui relâche sa vigilance pour veiller sur moi. Le SMS… J’aurais dû me rendre compte que quelque chose n’allait pas avec ce foutu message. Et puis, contrairement à Medina, ils m’ont capturé… »

     À cette pensée, je sens le nœud dans ma gorge se resserrer à nouveau.


     Les connexions des neurones de mon cerveau doivent enfin avoir terminé de se faire, car je finis par voir l’endroit dans lequel je me trouve. Je repère la source de la lumière tamisée, une « lampe de détective » comme celle qu’a Medina dans son bureau au poste, et qui lui a valu le sobriquet de « Medina Investigations » pendant quelque temps. Sinon : une table de travail très classique, parsemée de stylos, crayons et tampons rigoureusement ordonnés.

« J’dois pas d’argent aux frères Reise, alors pourquoi j’ai l’impression d’être dans le secrétariat de leur banquier ? »

     Mon regard se porte sur des dossiers empilés près d’une bannette. Je tente de déchiffrer ce qu’il y a sur le premier de la pile, quand le son d’une porte métallique qui claque plus loin interrompt mes efforts. Mes sens sont aux aguets, je fais le moins de mouvements possible afin d’anticiper un nouveau mauvais coup qui pourrait provenir de mon angle mort.

     Au lieu de ça, un homme grand et vêtu d’un costard noir déboule dans mon champ de vision et vient s’asseoir derrière le bureau, face à moi, sur une chaise que je n’avais pas encore eu le temps de repérer. La quarantaine, d’origine maghrébine, il a l’air aussi méticuleux que l’est son plan de travail. Seuls dénotent ses cheveux grisonnants en bataille et une cicatrice apparemment plutôt récente sur son arcade sourcilière gauche.

     Cet homme dégage une aura stricte et rigoureuse, mais il a tout de même l’attitude de quelqu’un qui est sur les nerfs et qui fait tout son possible pour ne pas le laisser transparaître.

     Il sort un paquet de cigarettes qui est dans un état aussi lamentable que moi, en retire une clope « John McClane » qui va dans les coins, la porte à sa bouche et l’allume.

« — Kann ich dir diesmal eine Zigarette anbieten? »

Surprise. Sa voix grave couplée à la rudesse de la langue teutonne me fait frémir.

« — Nur wenn du es einschaltest und in meinen Mund steckst. », réponds-je.

Cette fois-ci, c’est lui qui frémit. Cet enfoiré ne devait pas s’y attendre, à celle-là.

     Il sort donc une seconde cigarette, en meilleur état que la première, l’allume et la porte à ma bouche, comme nous venons d’en convenir. La fumée libérée par la première bouffée pique mes yeux, et celle que j’avale déplie mes poumons comme on déplie une figure d’origami.

     Je détecte de la curiosité et de l’intérêt dans son regard, qu’il tente là aussi de me camoufler. Mais je pense que c’est un homme qui, lorsque ses émotions le submergent - ce qui ne doit pas arriver très souvent, a beaucoup de difficultés à reprendre contenance.

« — Monsieur Bishop, ou devrais-je dire Major Bishop, je pense que vous comprenez dans quelle situation vous vous trouvez. »

     Il parle un français impeccable. Cet homme paraît difficile à cerner. Et je ne suis clairement pas en position de force dans cet échange. Mes liens sont solidement noués, mais ne me font pas mal malgré tout. C’est un pro, je ne suis pas la première personne que cet enfoiré a assise sur cette chaise.

« — Je pense effectivement en avoir saisi les grandes lignes, dis-je en faisant bouger mes membres dans le peu d’espace imparti par le jeu des cordes qui me retiennent prisonnier.

— Savez-vous qui je suis ?

— Non, mais vous devez travailler pour les frères Reise. »

     À l’évocation de leur nom, l’homme assis en face de moi lâche un léger soupir exaspéré qu’il tente à peine de cacher.

« — Pas vraiment, non. Les frères Reise ne sont que des pions sur l’échiquier. Tout comme vous. Tout comme moi aussi, d’ailleurs.

— Vous voulez dire que vous n’êtes pas le grand manitou du trafic de capsules Senseo ?

— Je vous demande pardon ?

— J’veux dire que c’est donc pas vous qui êtes en charge ?

— Non, bien sûr que non. Si tel est votre instinct policier, vous ne devez pas être un très bon Major. »

« Mais c’est qu’il me nargue, l’enflure. Profite tant que tu peux, gratte-papier de mes deux. »

    Je me reprends et tente de retourner son interrogatoire contre lui avant même qu’il ne commence.

« — Vous vous rendez compte de ce que vous et vos petits copains encourez pour enlèvement d’un gradé de police ? » Je serre les poings.

« — Et je ne vous parle même pas de ce qui vous pend au nez pour le meurtre du Brigadier-Chef qui m’accompagnait durant cette planque. »

— Dommage collatéral. Les frères Reise n’avaient pas pour ordre de tuer Christophe Medina.

    C’en est trop, je ne peux contenir ma fureur plus longtemps à l’évocation de cette blague qui venant de lui est de très mauvais goût.

« — CHRISTELLE MEDINA, FILS DE PUTE ! »

    Ma cigarette encore incandescente tombe au sol devant moi. Je me débats tellement que je sens mes liens se desserrer un tout petit peu. Mais ma rage est interrompue par la réaction de mon interlocuteur. Il paraît réellement choqué par ma réponse. Je ne comprends pas. Je ne le comprends pas.

     Sentant qu’il vient de laisser transparaître bien trop ouvertement sa surprise, il reprend immédiatement une posture qui correspond bien plus à la première impression qu’il m’a donnée. Ce n’était pas une blague. C’était bien une erreur de sa part.

     Il positionne ses avant-bras sur le bord du bureau, place devant lui un dossier sur lequel sont inscrites des phrases que je n’arrive pas à lire, parcourt les divers feuillets qui le composent, y met quelques annotations, puis y raye certains écrits. Sans me regarder, le stylo rouge toujours à la main, il lâche :

« — Votre fille s’appelle bien Lili ? »

La question me déstabilise

« — Pardon ? Comment connaissez-vous ma fille ? Laissez-la en dehors de cette histoire, c’est moi que vous voulez et vous m’avez !

— Le bracelet à votre poignet droit vient d’elle. »

« Non mais je rêve ? Pourquoi ce mec sait autant de choses de ma vie ? Et qu’est-ce que ça a à voir avec ces enfoirés de Reise ? »

     L’incompréhension prend le dessus, et là où je devrais réagir comme un flic, comme me l’a appris le métier, le surplus d’émotions de ces dernières heures joue en ma défaveur. Je ne cherche pas à mentir, je ne cherche pas à sonder, je cherche juste à comprendre ce qu’il se passe.

     Il coche quelque chose dans le dossier, puis continue de poser des questions qui n’ont pourtant pas l’air d’en être. Il est en quête de confirmations, et non de réponses.

« — Bon, reprenons les bases. Vous vous appelez Philippe Jay Bishop. Né en France de l’union entre Luke Bishop, ressortissant britannique, et Lucie Rampal, journaliste française. Je me trompe ?

— Qui sait ? » réponds-je d’un air malicieux. Il ne relève pas et poursuit.

« — Ex-femme : Laura Mercadel, mère de Lili, actuellement en couple avec une certaine Mélissa Braün, tréma sur le “u”, en voyage à…

— Non, pas vraiment non. » Je l’interromps.

« — Pardon ?

— Il faudrait que vous vérifiiez mieux vos sources, Monsieur “Quatre Épingles” »

     Cette nouvelle erreur dans les faits me redonne confiance en moi, malgré toutes les questions qui s’entassent pêle-mêle dans mon cerveau. J’ai à faire à des personnes prêtes à enlever et tuer du personnel des forces de l’ordre, pourtant pas foutues de faire une vérification potable de mes antécédents, mais qui savent me mettre sous le nez des détails que seul moi connais.

« — Ce n’est pas Laura qui sort avec Mél, c’est moi.

— Vous en êtes certain ?

— C’est une blague, c’est ça ? »

     Ses yeux se plongent dans les miens et me sondent. J’ai le sentiment qu’il peut lire en moi comme un livre ouvert. Et pourtant, il se trompe. Pas tout le temps. Pas sur tout. Parfois sur des détails insignifiants, parfois sur des éléments bien moins privés de ma vie.


     L’interrogatoire se poursuit pendant un temps que je ne saurais estimer. Je m’accoutume à cette situation, reprends le contrôle de mes émotions, même si je suis constamment à fleur de peau. Mais il en va de même pour lui. Un ping-pong de questions et de réponses se met en place, chacun essayant de déstabiliser l’autre dans le but de le faire craquer. De lui faire lâcher une information qu’il ne devrait pas. Et pourtant, malgré tout ce temps, je n’arrive toujours pas à comprendre ce que ce mec me veut. Ce que me veulent ceux pour qui il travaille.

     Je suis tellement intrigué par la situation que je n’essaie même pas de m’en extirper. La curiosité l’emporte sur tout le reste, malgré toutes mes autres émotions qui tentent d’émerger à la surface selon les sujets abordés. Mon boulot, ma famille, mon parcours académique comme ma carrière, tout est passé au crible, vu sous le prisme de mon interlocuteur et des informations me concernant qu’il détient. Mais ce prisme n’est pas complètement conforme à la réalité. Le portrait qu’ils ont dressé de moi est précis mais pas sans fautes.

     Quant à moi, j’apprends que les frères Reise sont des éléments perturbateurs mais nécessaires à leur entreprise. Que ce n’est pas la première fois qu’ils sont en roue libre, et que les instances supérieures, au doux nom de l’Organisation, ont cherché à les calmer à plusieurs reprises, et parfois de manière drastique, mais en vain. Que lui-même, Ibrahim, n’est qu’un pion parmi d’autres, à la fois futile et primordial. Que ma présence sur cette affaire n’est pas le fruit du hasard.

     Il est par moments bien plus loquace que ce à quoi je m’attendais de sa part. Je le soupçonne toutefois de tenter un coup de poker, à me révéler des informations sans importance voire erronées afin de me mettre faussement dans la confidence et de me faire parler.

« — Merci, Philippe. Vous êtes un sujet vraiment intéressant. » finit-il par dire en se levant de sa chaise. Il fait le tour du bureau et se place presque à ma portée, me toisant de haut pour la première fois depuis le début de notre conversation. Pardon, de mon interrogatoire.

« Je suis toutefois au regret de vous annoncer que vous allez devoir rester parmi nous un petit plus longtemps.

— Quoi ? Non, vous ne pouvez pas me garder ici indéfiniment, mes collègues sont déjà à ma recherche, ils me trouveront bien assez tôt et c’en sera fini de votre business aléatoire et douteux !

— Oh, je vous crois sur parole, Major Bishop. » Son visage se rapproche du mien.

« — Mais je vous conseille aussi de me croire lorsque je vous affirme que là où nous sommes, ils ne viendront jamais.

— Qu’est-ce que vous voulez dire par là ? Qu’on est dans une base sous-marine comme dans un film de James Bond ? Me faites pas rire ! »

     Un sourire en coin se dessine sur ses lèvres. Et à son regard, je sens qu’il attend ce moment quasiment depuis le début de notre entretien.

« — Vous le découvrirez bien assez tôt. “Maktub, sadiqi Philippe.” »

    Il sort de l’intérieur de sa veste un appareil ressemblant à un talkie-walkie, qu’il allume. Il prononce alors une phrase simple mais lourde de sens même si je n’en comprends pas clairement l’ampleur.

« — Venez chercher le sujet 17 et mettez-le avec tous les autres. »


 
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