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Be seeing you.
Number 6
Oxyde retrouve son assurance habituelle, et se remet mentalement en condition pour la mission qui l’attend, plaçant complètement derrière lui cette saugrenue rencontre afin de pouvoir porter toute son attention au moment présent.
Car oui, il se passe définitivement quelque chose ici. Dès les premiers mètres parcourus sur le vieux chemin menant à la maison, il perçoit une étrange magie qui imprègne l’air, le sol, tout ce qui l’entoure. Il la ressent à travers chacun de ses sens, exacerbés au maximum, poussés dans leur retranchement à cause de cette sale impression qui le tient à l’affût. Il a le sentiment que chacun d’entre eux est brouillé, parasité par cet exotique type de magie.
Oxyde maintient malgré tout un calme olympien, car il sait que ne pas se contenir dans ce genre de situation conduit forcément à l’erreur, à la catastrophe.
Il se sent en permanence épié, et ce malgré l’absence totale d’une quelconque présence. C’est comme si aucune vie n’osait s’aventurer près de cette maison, aucun oiseau, aucun insecte, rien. Aucun arbre ni autres végétaux ne se trouvent à proximité directe de celle-ci. Son arrivée à quelques mètres du perron ne fait que confirmer ce constat.
Seule la lueur de la Lune éclaire le sinistre lieu abandonné, délabré, mais malgré tout imposant et majestueux.
« Jamais de la vie je pourrais vivre dans un endroit pareil… » pense-t-il pour lui-même, en toisant l’immense façade lui faisant face.
N’étant finalement qu’assez peu préparé pour cette mission, et faisant entièrement confiance en son instinct, Oxyde décide d’entreprendre de faire le tour de la maison, de partir en reconnaissance.
C’est alors que la porte d’entrée s’ouvre d’elle-même, au ralenti et dans un grincement tout droit sorti des bruitages d’un film d’horreur de série Z.
« Classique. Cliché. Mais efficace, je l’avoue. Très bien. Vous voulez jouer ? J’arrive pour casser du fantôme. »
Il s’engouffre dans la maison, et la porte se referme derrière lui.
Comme il s’y attendait, le hall à l’intérieur est en piteux état, du moins pour ce qu’il peut en distinguer. Il décide d’utiliser la fonction lampe torche de son téléphone pour récupérer un peu plus de lumière que celle que la Lune lui apporte au travers des quelques embrasures creusées dans les fenêtres et volets. Ces derniers sont tellement vieux qu’il ne s’étonnerait pas qu’ils partent en ruine au moindre contact.
La poussière ambiante que sa présence soulève provoque un effet de brume lorsque le halo produit par son mobile balaye la pièce. Aucun meuble, aucun signe de vie particulier, qu’il soit récent ou même très ancien. Pas de traces apparentes de sortilège au sol ou sur les murs, du moins rien qu’il ne détecte.
Pourtant, Oxyde se sent de plus en plus observé, mais rien ni personne ne se manifeste alors qu’il parcourt la salle.
De part et d’autre, deux portes permettent d’accéder aux autres ailes du rez-de-chaussée. Deux escaliers menant à l’étage supérieur lui font face. Enfin un et demi, plutôt. Celui de gauche s’est effondré sur une bonne moitié, et est totalement impraticable.
Alors qu’il entreprend de continuer son exploration de ce niveau, la lumière émise par son téléphone bascule progressivement mais très rapidement du blanc à l’orange.
Intrigué, il retourne l’écran de vers lui afin de vérifier ce qui s’y passe. Oxyde a à peine le temps de discerner ce qui lui semble être une citrouille en très gros plan que le haut-parleur se met à hurler « WHO YOU GONNA CALL ? GHOSTBUSTERS ».
L’intensité du volume lui fait porter ses mains à ses oreilles et lâcher son mobile qui tombe à plat sur le sol poussiéreux. Après quelques secondes de semi-surdité due aux acouphènes, il le ramasse. L’écran n’émet plus aucune lumière.
« — Qu’est-ce que… ? Merde, il est tout dégueulasse… Mais… il s’allume plus, en plus. » marmonne-t-il alors qu’il tente désespérément de redonner vie à son smartphone.
« — Mais pourquoi j’ai accepté ce cas, moi ? Alpha, j’te jure que tu vas m’entendre. » dit-il en le rangeant dans sa poche de pantalon.
Seule la lumière ambiante éclaire désormais l’intérieur du hall.
Du moins, c’est ce qu’il pense lorsqu’il finit par apercevoir à l’étage une lueur orangée mais ténue.
La pression monte d’un cran. Des cas étranges et des phénomènes magiques, il en a vu des similaires. Des bien pires, même. Mais cette situation précise le perturbe. C’est un tout : le fait de ne pas reconnaître clairement le type de magie à l’œuvre ici, le manque d’informations et de préparation, de se sentir épié en permanence, ses sens brouillés l’empêchant de pouvoir anticiper le moindre « coup bas ». Il a même fait fi de toute sagesse en entrant directement dans la maison lorsqu’on lui a simplement ouvert la porte. Un beau tapis rouge déroulé rien que pour lui. Le plus beau des traquenards.
Il décide malgré tout de se diriger vers l’escalier de droite, et monte les marches une par une, prudemment, prêtant cette fois-ci attention à tout ce qui l’entoure. Cet excès soudain de vigilance venant contrebalancer ses actions impulsives précédentes lui permet de reprendre les cartes en main, et de continuer la partie dans de meilleurs augures.
Arrivé au plus haut, il détecte tout de suite que la lueur orangée provient de l’aile droite de l’étage auquel il se trouve. Il entrouvre et passe la lourde porte menant au couloir, qu’il referme doucement derrière lui.
« — Et alors, tu m’ouvres plus la porte ? La galanterie est à usage unique ? Ou bien c’est parce que tu t’attendais pas à ce que je résiste, et que du coup… tu as peur ? » Oxyde sourit, ses yeux se sont parés de l’éclat et du pétillement propres à la sensation de défi qui le submerge.
Provoquer un esprit comme il vient de le faire est toujours une mauvaise idée, LA chose à ne pas faire. Mais au fur et à mesure de sa progression dans cette bâtisse, le sentiment qu’il participe à un jeu de rôle grandeur nature se fraye un chemin dans ses pensées, et l’amusement et la curiosité prennent petit à petit le pas sur tout le reste.
L’état du couloir de l’étage n’a rien à envier à celui du hall d’entrée, le délabrement avancé étant accentué par les bouts de plafonds et de murs répandus un peu partout au sol. Comme en bas, tous les volets des fenêtres sont clos. Les trois quarts d’entre eux étant partiellement ou entièrement cassés, la Lune parvient malgré tout à apporter une faible lumière permettant à Oxyde de se passer de son smartphone, de toute façon hors service, pour progresser et observer ses alentours.
Mais l’astre lunaire n’est pas le seul à éclairer le corridor lugubre. Là, au plus loin de ce qu’il peut distinguer, une nouvelle lueur orangée, bien plus vive cette fois-ci, semble provenir d’une pièce sur la gauche.
« — Vu. J’arrive. »
De défi, d’excitation, ou des deux, Oxyde traverse le couloir presque au pas de course pour se trouver nez à nez avec cette foutue lumière couleur citrouille, s’échappant de chaque côté de la porte, comme un cadre entoure et met en valeur une toile d’artiste.
Se rendant compte qu’il agit de manière inhabituelle et irrationnelle, il respire longuement et se force à retrouver en partie son calme ainsi qu’une prudence de rigueur qu’il a pourtant bien trop négligée depuis qu’il est entré ici. Le sentiment de se sentir observé s’ancre alors à nouveau dans son esprit, et vient titiller ses sens, encore tous à fleur peau.
« C’est trop étrange… Trop dangereux… Il faut que je mette un terme à ce bordel. »
Il agrippe la poignée et la tourne. La porte n’est pas verrouillée. Il entre dans la pièce.
Rien ne pouvait préparer Oxyde à ce qu’il allait découvrir en passant cette porte.
La lumière orange n’est plus, et une clarté « lunaire » mais factice la remplace. Un éclairage digne d’une scène de théâtre ou de plateau de tournage. Et c’est exactement ce qui se trouve en face de lui : un décor de faux cimetière, mal fait, composé de quelques tombes très certainement en carton, tout comme le seul arbre décharné venant étoffer l’ensemble. Quelques citrouilles, certaines sculptées et abritant des bougies allumées, d’autres pas, sont déposées à des endroits esthétiquement stratégiques. Une toile est étendue sur le mur du fond, représentant « à plat » le reste du cimetière, la pénombre, et un ciel nuageux et menaçant. Une légère brume opaque accentue l’aspect lugubrement pitoyable de cette mauvaise mise en scène. Oxyde cherche du regard les machines à l’origine de cette fumée, mais n’en trouve aucune, la brume est bien réelle. Magique, mais réelle.
Il s’apprête à assister au clou du spectacle, il en est certain.
Alors qu’il se rapproche du centre du décor, une douleur atroce vient vriller l’intérieur de son crâne, et le fait se ratatiner sur lui-même, les yeux clos, les mains enserrant sa tête comme si la pression pouvait l’endiguer. C’est un bruit, à un volume inégalé, directement envoyé dans son esprit qui le plaque au sol.
Non, ce n’est pas qu’un son… C’est… une chanson… ? Ghostbusters ? Encore ?
Toujours torturé par cet air gravé au fer rouge dans son être, Oxyde ouvre les yeux et se rend compte qu’il n’est plus seul dans la pièce.
Au centre du mauvais décor de cimetière se trouve une forme humanoïde, toute de noir vêtue, avec comme uniques parties apparentes ses mains et sa tête dépassant du col roulé… remplacée ici par une citrouille dans laquelle sont vulgairement taillés deux yeux, un nez et une bouche.
Et qui… danse… ?
De manière ridicule, d’ailleurs.
Oxyde ne sait pas si ce qu’il voit est la vérité ou une hallucination causée par l’extrême douleur, toujours omniprésente.
Et cette foutue chanson qui ne cesse jamais. Bordel.
Tout ce boucan l’empêche de réfléchir, tout son être est déchiré par tant de chaos, de violence, d’irritation. Il est persuadé que s’il ne fait rien, il va finalement y passer. Là, ce soir, devant ce fantôme ridicule et débile, qui danse comme le font tous les oncles ivres lors des fêtes d’anniversaire. Quelle fin de merde !
Soudain, il distingue une voix d’outre-tombe directement dans sa tête, venant s’empiler à tous les désagréments qui le maintiennent encore cloué au sol.
« — DANSE, MÉDIUM. DANSE, COMME TOUS LES AUTRES L’ONT FAIT AVANT TOI, ET COMME TOUS LES AUTRES LE FERONT ENSUITE ».
Incapable de penser ni de réfléchir clairement, Oxyde, les mains enserrant toujours son crâne tel un étau, se met alors à dodeliner la tête un minimum en cadence avec le couplet de Ghostbusters. Par réflexe ? Par instinct ? Par impossibilité de faire quoi que ce soit d’autre ? Peu importe la raison, mais il a la légère impression que grâce à cela, la douleur est un tantinet plus supportable.
« — DANCE, MÉDIUM ! LAISSE-TOI POSSÉDER PAR LA DAAANSE ! MOUAHAHAHAHAHA »
Oxyde lâche son crâne et se redresse malgré la souffrance qu’il endure, tout en se laissant petit à petit aller à bouger en rythme. Et plus sa chorégraphie est synchronisée avec la musique, plus le martyre s’atténue. Il retrouve peu à peu l’usage de ses sens, ses mouvements se font de plus en plus amples, et la douleur va decrescendo.
À la fois énervé et amusé, vexé et curieux, il jette un œil aux alentours sans perdre le tempo. Rien n’a changé, lui et l’apparition, qu’il baptise instantanément « Citrouilleman » sont les seuls présents ici.
Son esprit combatif de retour, et toujours cette idée de jeu ancrée en lui, il fixe alors son opposant, et lui décoche un sourire en coin.
« — OK, dance off, Citrouilleman ! »
Comme possédé par le démon de la danse, Oxyde s’oublie complètement et laisse le groove l’envahir à 100 %, reproduisant à l’identique et en miroir les enchaînements endiablés de Citrouilleman.
La douleur n’est plus, seul un sentiment béat d’amusement et de liesse le submerge, alors qu’il aperçoit Citrouilleman tenter de perfectionner ses mouvements, sentant que son opposant est en train de lui faire de l’ombre.
Pendant ce temps, et sans relâcher son entrain effréné, il cherche dans sa mémoire une incantation dans le domaine lié au catholicisme anglais ou celui de Samain, qui permettrait de faire passer définitivement cet esprit farceur, ridicule et casse-pieds de l’autre côté !
Alors que Citrouilleman se donne encore plus à fond, comme si son honneur de spectre malicieux et sa réputation de danseur émérite étaient en jeu, Oxyde finit par se rappeler d’une litanie qui, très étrangement, se substitue parfaitement aux paroles de la chanson « Ghostbusters » de Ray Parker Jr.
Phrase pour phrase, syllabe pour syllabe, tout correspond en termes de longueur, et même de sonorités. Ray Parker Jr. était-il lui aussi un sorcier ?
Alors qu’il tente de réciter le texte sacré, il perd quelque peu la cadence, et la douleur et l’intensité du volume de la musique remonte d’un cran dans sa tête, le faisant vaciller.
« Merde, faut que je me concentre. Putain, j’fais pas partie d’un boys band, moi ! »
Il stoppe alors l’incantation pour se caler à nouveau à la perfection sur le rythme. Contrairement à son adversaire, inarrêtable, la fatigue commence clairement à se faire sentir. Il va falloir en finir rapidement.
Après plusieurs répétitions de la chanson et les longues minutes qui vont avec, il parvient à synchroniser quasi parfaitement ses gestes ainsi que les paroles de l’incantation.
Citrouilleman, toujours en train de se déhancher, semble s’affoler. Oxyde a mis dans le mille. Il récite alors à nouveau les mots, et reproduit les mouvements en boucle, ravivé du souffle de l’espoir de voir ce combat enfin arriver bientôt à son terme, et motivé par une future écrasante victoire sur son adversaire.
Citrouilleman ne panique plus, il danse, sans cesse, et commence à s’effacer, petit à petit. La transparence de son corps laisse apparaître de plus en plus la toile servant de décor à ce ridicule affrontement.
Jusqu’à complètement s’évanouir.
La musique se stoppe net, la brume disparaît, les lumières s’éteignent.
Oxyde s’effondre d’épuisement sur le sol poussiéreux de la pièce désormais entièrement vide. Le calme et le silence lui font un bien fou, et toute la pression s’évacue d’un coup, l’absurdité de la situation venant le frapper de plein fouet. Et il se met à rire. Un rire nerveux, de soulagement, mais un rire salvateur.
« — Non mais sérieusement, qu’est-ce que c’était que ce truc ? Je viens quand même pas réellement de faire traverser un esprit en récitant une incantation de passage, tout en dansant de manière ridicule sur le générique de S.O.S. Fantômes, là ? »
Un claquement régulier résonne alors, faisant sursauter Oxyde.
La porte de la pièce s’ouvre, et Alpha entre, un grand sourire aux lèvres, applaudissant des deux mains.
« — Bravo. Je suis abasourdi, tu possèdes décidément beaucoup de talents, et dans tout un tas de domaines, magiques ou non.
— Alpha ? Mais qu’est-ce que tu fais là ? »
Ce dernier se dirige alors vers le coin de la salle, et y récupère quelque chose, posé sur le bord d’une des fenêtres. Une caméra ?
« — Et voilà, une toute nouvelle entrée pour une des pages protégées de « esoteric.net », catégorie « l’envers du décor » ! » dit-il en vérifiant que l’enregistrement du battle de danse est correctement stocké.
« — T’es pas sérieux, là ? Me dis pas que t’as filmé tout ça ? C’est pour ça que tu m’as demandé de venir ici ? C’est pour ça que j’avais l’impression d’être épié en permanence ? C’était toi !
— Je te rassure, tu es loin d’être le premier à te faire avoir par cet esprit ridicule. C’est devenu un fil rouge, entre sorciers. Par contre, je pense que tu seras le dernier. Je ne sens plus du tout sa présence dans le coin. T’es le seul à avoir trouvé comment l’aider à traverser définitivement. Félicitations !
— Alpha, déconne pas. Ne poste pas ça, ou… »
Oxyde tente de reprendre consistance et se relever tout en disant ces mots, mais la fatigue extrême l’empêche quasiment de bouger. Toutefois, Alpha a raison, il ne ressent plus la présence magique étrange qui ne l’a jamais quittée depuis qu’il a passé le portail d’entrée. Ni même cette sensation de « jeu » permanente, qui avec un peu de recul n’était pas si désagréable que ça, même si elle l’a fait se comporter comme jamais il ne l’aurait fait d’habitude.
Le voyant chanceler, et sachant très bien que son ami n’en a que pour quelques minutes avant d’être complètement de retour à son état normal, extrême fatigue mise à part, Alpha lui sourit, ouvre la porte et lui assène tout en la refermant un malicieux :
« — Joyeuse Halloween ! »
Encore hébété, Oxyde écoute les pas de son ami parcourant le couloir s’éloigner.
Il l’entend même siffloter.
« Who you gonna call ? »
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